POUR UN HUMANISME CHRÉTIEN À L’AUBE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE

Mgr Anselme T. SANON (Évêque de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso)

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Le changement est la mesure du monde actuel. Sous différents aspects, il atteint toutes les sociétés contemporaines. En Afrique, et notamment dans la partie occidentale, où les pays sont en marge ou même en régression dans plusieurs domaines, les marques de ce changement se font visibles tant au niveau social, politique, économique, que culturel. Pour notre part, nous nous préoccuperons ici du domaine culturel.

Les sociétés naturelles ou originelles restaient de type sacral. Leur domaine sacré était coextensif aux autres domaines : éthique, social, économique et politique. De ce fait, le culturel avait une dimension sacrée et religieuse. Sa situation accuse de profondes mutations de nos jours.

Des indices de changements

Nous pouvons relever cinq secteurs où le religieux est mis à mal par suite des mutations culturelles et réciproquement.

  • La société traditionnelle est à la fois culturelle et spirituelle, éthique et religieuse. La mutation a entraîné sa dissolution et l’émiettement de ses rites.
  • Par ailleurs, on assiste à un surgissement fébrile des lieux de culte des confessions protestantes à fortes tendances fondamentalistes. En conséquence, il sévit une rupture avec la société traditionnelle dont on ne retient que la langue pour la traduction de la Bible.
  • Le fondamentalisme, le syncrétisme, et l’usage mercantile du marché, sont à la base de la désorientation et du mouvement des masses musulmanes.
  • A signaler également l’excroissance et l’infiltration de groupes et mouvements non religieux.
  • Enfin, on note une croissance quantitative notable, puisse-t-elle être qualitative, des communautés chrétiennes catholiques.

En marge de tous ces secteurs, certaines tendances se font jour:

La plupart des États s’inscrivent à la règle rigide de séparation de l’Église et de l’État. Pour ce faire, les efforts des communautés devraient se concentrer dans les domaines religieux, social et éthique, avec une attention particulière pour la santé et l’école. Dans la situation actuelle, où les États sont fragilisés au niveau institutionnel et éthique,

  • L’État se trouve doté de peu de moyens et d’équipement dérisoires. Il est donc faible économiquement et en efficacité .
  • Les élites et cadres sont inégalement préparés à leur rôle.

Le problème socio-culturel du monde contemporain peut être traduit en ces termes : Dieu dans la cité et Dieu dans la culture. Faut-il y voir le retour à la cité chrétienne ou encore la redécouverte de la civilisation chrétienne ? Ou faut-il plutôt affirmer la présence chrétienne citoyenne ?

Le phénomène culturel est à poser comme un facteur non négligeable dans les drames et tragédies qui secouent le monde actuel. Il faut noter cependant le cas de l’Afrique de l’Ouest qui voit apparaître une certaine sensibilité marquée par le désir d’une culture propre. Ce phénomène est d’abord une réaction contre tout retour de colonialisme et conçu vis-à-vis d’une modernité dominante et agressive. Il pousse alors au soupçon à l’égard de l’étranger, et alimente la recherche et l’affirmation d’identités culturelles. Il adopte des tendances s’exprimant en de nombreuses revendications. Cet état d’esprit engendre des conflits inter-ethniques – autour des problèmes de territoires, des droits ancestraux – mettant en avant:

  • la langue
  • l’appartenance ethnique ou raciale
  • le territoire
  • les valeurs éthiques.

Récupérées par les pouvoirs politiques, ces revendications deviennent source de troubles touchant la vie sociale et économique. On est donc en droit de se demander si la culture est bel et bien un chemin indiqué, valable ou valide ou si elle est une menace pour les sociétés chrétiennes face aux situations nouvelles des plus complexes.

L’inculturation

Dans ce contexte le processus d’inculturation devient une démarche de foi pour ouvrir à une communauté son chemin vers le Christ, Verbe Incarné et pour présenter à l’Église des voies d’accès au cœur d’un ensemble de cultures, en vue de l’Évangélisation. Nous mentionnons quelques domaines.

  1. La traduction de la Parole Révélée dans les langues locales est non seulement œcuménique, mais surtout d’intérêt national et culturel : fixation de l’alphabet, création de mots nouveaux, apports d’expressions nouvelles au système de pensée.
  2. La catéchèse en langues du pays et dans les langues occidentales est un laboratoire où un dialogue incessant s’instaure entre d’autres conceptions religieuses et le noyau de la foi.
  3. La liturgie reste le domaine qui voit le plus d’innovations et de créations. Les signes et symboles de la religion et de la culture traditionnelles sont repris ou rejetés, réinterprétés en vue d’une signification nouvelle.
    Dans le paysage des lieux sacrés et l’ensemble des objets, rites et chants sacrés, apparaissent ceux de la foi chrétienne.
  4. L’art sous toutes ses formes et son style propre est mis à contribution : littérature, poésie, généalogies, rythmes, chants, gestes et danses, peinture, sculpture, la statuaire dans son ensemble sont proposés aux artistes chrétiens et non-chrétiens en vue de créations dignes du genre culturel et aptes à exprimer l’Évangile.
  5. Des modes de comportements sociaux peuvent également être assumés par la Communauté chrétienne. Ainsi en Afrique de l’Ouest, la violence physique est interdite entre certains groupes ethniques suite à des pactes établis par leurs ancêtres. C’est la relation de parenté à plaisanterie. Les Communautés chrétiennes essaient de l’élargir au sens de leurs membres en vue d’une réconciliation entre chrétiens.
  6. Les cultes et rites culturels et religieux ont besoin d’espaces sacrés et de temps sacrés.
    Le calendrier et le comput du temps sont objets de négociations pour une reconnaissance effective des droits de chaque groupe.
  7. Depuis 1977, des Communautés chrétiennes pour exprimer leur expérience d’Église, Peuple de Dieu, ont retenu l’expression et la dynamique de l’Église famille de Dieu. Cette utopie assumée par les Pères du Synode Africain est un lieu d’inculturation et d’évangélisation. C’est également un lieu théologique.

A notre avis, pour dialoguer, il faut être deux ; pour inculturer, il faut deux cultures ou deux Communautés en dialogue de confrontation. L’humanisme chrétien que nous vivons peut-il être lui-même sans l’apport des cultures contemporaines ?

Pour nous, c’est l’Incarnation, le Verbe s’est fait chair, qui nous pousse à l’œuvre d’inculturation. Vrai homme, dit le Concile de Calcédoine… " Selon quelle anthropologie ? ", nous demandons nous ?