Assemblée Plénière
11-13 mars 2004
« La foi chrétienne à l’aube du nouveau millénaire
et le défi de la non-croyance et de l’indifférence religieuse. »
Intervention de S.E. le Cardinal Paul POUPARD, Président du Conseil Pontifical de la Culture
Introduction aux travaux
1. « Ecce quam bonum et quam iucundum habitare fratres in unum ! » (Ps 132). C’est avec les paroles du psalmiste qui chante la beauté de la communion fraternelle, que je voudrais vous dire ma joie de vous accueillir en cette Assemblée Plénière, pour trois journées de travail qui seront, à n’en pas douter, intenses et riches. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation, et d’avoir rassemblé vos analyses, à partir d’expériences propres à vos milieux de vie, sur La foi chrétienne à l’aube du nouveau millénaire et le défi de la non-croyance et de l’indifférence religieuse. Votre contribution nous est précieuse pour permettre au Conseil Pontifical de la Culture de répondre avec compétence à la mission que lui a confiée le Saint-Père. Le fruit de notre travail permettra de préciser, avec l’Instrumentum laboris, le défi pour la foi chrétienne, de la non-croyance et de l’indifférence religieuse à l’aube du nouveau millénaire, pour aider toute l’Église à mieux y répondre.
J’adresse un salut particulier aux nouveaux membres, spécialement ceux qui participent pour la première fois à notre Assemblée Plénière, et vous comprendrez que je fasse une mention spéciale du plus jeune d’entre eux, Son Excellence Monseigneur Fabio Duque Jaramillo, jusqu’au mois de janvier dernier mon collaborateur comme Sous-secrétaire du Dicastère, que j’ai eu la joie d’ordonner évêque d’Armenia, en Colombie, voici moins de deux mois.
Chers Frères et amis,
Je tiens à vous remercier tous de votre présence. Je sais que vous avez dû faire de gros sacrifices pour être présents. Il n’est pas facile, pour ceux qui portent une lourde charge pastorale, de laisser un diocèse avec tous les engagements pastoraux de cette période du carême. Mais la nomination des nouveaux membres du Conseil Pontifical de la Culture, sollicitée avant l’été dernier, s’est fait longuement attendre, aussi la convocation à la Plenaria n’a pu être envoyée que beaucoup plus tard que je ne l’avais souhaité, presque à la veille de l’assemblée. Compte-tenu de ces délais trop courts, votre présence est d’autant plus méritoire. En vous redisant ma joie de votre nomination, je réitère mes vœux d’une collaboration intense pour ce quinquennat. Nous avons une pensée particulière pour Son Éminence le Cardinal Etsou, archevêque de Kinshasha, nouvellement nommé membre, mais qui est empêché à cause d’une grave maladie.
Je salue aussi très cordialement nos consulteurs présents. C’est avec une grande joie que nous voyons notre Assemblée Plénière fortement enrichie par une présence féminine de qualité, et par des voix en provenance des continents de l’Asie, l’Amérique et l’Afrique. Vous aussi, je le sais, vous avez fait de grands sacrifices pour être présents. Soyez-en très cordialement remerciés.
2. Votre présence à tous est pour mes collaborateurs et moi-même une précieuse source d’encouragement. Je la perçois comme un signe vivant de collégialité affective et effective qui, comme membres de l’épiscopat unique et indivis, en communion avec le successeur de Pierre, nous donne de partager la sollicitude de toutes les Églises (Jean-Paul II, Exhortation apostolique Pastores gregis, 8). Est-il besoin de le rappeler : le Conseil Pontifical de la Culture c’est vous, et en collaboration avec le Secrétaire et nos collaborateurs, nous avons pour mission de développer les orientations et les décisions qui nous prendrons au cours de ces journées de travail. C’est le service que nous rendons au Saint-Père, au Saint-Siège et à toute l’Église.
Pour ceux qui sont moins familiarisés avec notre travail que le Saint-Père a voulu situer au confluent de la foi avec la non-croyance et l’indifférence au cœur des cultures, j’évoque rapidement la thématique des précédentes Assemblées Plénières au cours des deux dernières décennies :
– Science et non-croyance.
– Ethique séculière et non-croyance.
– Athéisme. Non-croyance. Indifférence religieuse à travers le monde. Tâches pastorales.
– L’Église devant le défi des idéologies et des mentalités contemporaines.
– Quête du bonheur et foi chrétienne.
– Comment dire Dieu aux homme d’aujourd’hui.
– Pour une pastorale de la culture.
– Pour un nouvel humanisme chrétien à l’aube du nouveau millénaire.
– Transmettre la foi au cœur des cultures, Novo millennio ineunte.
Nombre de ces travaux ont été publiés en diverses langues, particulièrement nos propositions Pour une pastorale de la culture, en arabe, allemand, anglais, espagnol, français, croate, italien, hongrois, polonais, portugais, roumain, russe, slovène, slovaque. C’est une manière efficiente pour nous de partager le fruit de nos travaux au bénéfice de toute l’Église. Vous nous direz ce qui vous paraît le plus utile au terme de ces Journées d’échanges et de propositions.
3. Le thème qui a été retenu pour notre Assemblée, La foi chrétienne à l’aube du nouveau millénaire et le défi de la non-croyance et de l’indifférence religieuse, se situe dans la droite ligne de la mission confiée par le Pape Jean-Paul II au Conseil Pontifical de la Culture par sa Lettre apostolique sous forme de Motu proprio, Inde a Pontificatus : « promouvoir la rencontre du message salvifique de l’Évangile et des cultures de notre temps, souvent marquées par la non-croyance et l’indifférence religieuse » (Inde a Pontificatus, art. 1) et promouvoir, dans le même temps, « l’étude du problème de la non-croyance et de l’indifférence religieuse présentes sous des formes variées dans les divers milieux culturels, il en recherche les causes et les conséquences en ce qui touche la Foi chrétienne. » (Inde a Pontificatus, art. 2).
En réalité, vous le savez, c’était la mission du Conseil Pontifical pour le Dialogue avec les non-croyants, autrefois Secrétariat pour les non-croyants, que le Saint-Père a réuni par le Motu proprio Inde a Pontificatus, au Conseil Pontifical de la Culture, pour ne former qu’un seul dicastère en 1993.
Dans un an, nous célèbrerons les 40 ans de la fondation du Secrétariat pour les non-croyants, créé par Paul VI le 9 avril 1965, en plein Concile Vatican II. Cette création répondait à la conviction de Paul VI, exprimée dans son Encyclique Ecclesiam Suam, de la nécessité pour l’Église d’entrer en dialogue avec le monde selon trois cercles concentriques toujours plus étendus : celui du dialogue avec les frères chrétiens séparés, celui du dialogue avec les croyants des autres religions, et celui du dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté qui ne professent aucune religion. Placé sous la présidence du Cardinal Franz König, pour qui nous avons une pensée cordiale, le Secrétariat a publié, en 1968, son premier document intitulé : Le dialogue avec les non-croyants, vademecum pour la mise en œuvre de l’enseignement du Concile, explicité par Paul VI, sur le dialogue avec les non-croyants.
4. Nos collaborateurs vont vous présenter l’iter du travail préparatoire, depuis le premier envoi du questionnaire à travers le monde, le 8 septembre 2002. D’un mot, j’en souligne quelques aspects essentiels par rapport au travail similaire que nous avions fait voici vingt ans. Au cours de ces deux décennies écoulées, le monde a profondément changé, c’est une banalité de le répéter, mais c’est une exigence pastorale d’en prendre conscience, pour répondre aux nouveaux défis d’une manière adaptée. L’athéisme militant n’est plus au pouvoir en Europe du centre et de l’Est, et l’intelligentsia occidentale n’en fait plus profession publique. Nous n’assistons pas non plus à une poussée de la non-croyance. Bien au contraire.
La rapidité et la profondeur des mutations culturelles intervenues au cours des les dernières décennies marquées, entre autres, par la révolution culturelle de mai 68, le développement de la mondialisation, l’implosion de l’empire soviétique, les attentats du 11 septembre 2001, sont comme la toile de fond d’un grand bouleversement dans nombre de cultures au cœur de notre temps. Nous ne pouvons l’ignorer pour remplir de notre mieux notre mission : étudier le phénomène de la non-croyance et de l’indifférence religieuse, et ouvrir de nouvelles voies de dialogue avec tant et tant de personnes qui, au premier abord, n’en voient guère l’intérêt, et encore moins la nécessité.
Le Pape Jean-Paul II m’a fait l’honneur de me demander de succéder au Cardinal König à la présidence de ce dicastère, le 28 juin 1980. Depuis lors, beaucoup de choses ont changé, tant dans cet organisme que dans le monde. Mais la mission confiée au Secrétariat demeure, insérée désormais dans le nouveau Conseil Pontifical de la Culture par le Saint-Père, dans la conviction que la culture est le terrain privilégié de ce dialogue.
4. Le thème de notre rencontre se situe dans le droit fil de la précédente Assemblée plénière de mars 2002, sur La transmission de la foi au cœur des cultures, Tertio millennio ineunte. En effet, nous observons dans de vastes espaces où l’appartenance à l’Église est encore majoritaire, une rupture de la transmission de la foi, intimement liée à un processus d’éloignement d’une culture populaire séculairement et profondément marquée par le christianisme. En 2002, nous avons réfléchi aux moyens de mieux transmettre la foi au cœur des cultures. Nous devons maintenant prendre en considération les données qui conditionnent le processus d’éloignement, d’affaiblissement, d’obscurcissement de la foi dans le milieu culturel mouvant où vivent les chrétiens, et rechercher des propositions pastorales concrètes pour répondre aux défis de la nouvelle évangélisation. Comme le souligne notre Instrumentum laboris, nos questions sont à la fois difficiles et décisives : « Qui sont les non-croyants ? des humanistes ? des scientistes ? où sont-ils, que pensent-ils ? que devons-nous dire à leur sujet ? Quel dialogue pourrons-nous établir avec eux ? que faire pour transmettre la foi aux nouvelles générations, victimes de l’indifférence et de la non-croyance pratique ? » (Instrumentum laboris, p. 2).
Si l’indifférence religieuse est fort répandue, le besoin du spirituel se fait de nouveau ressentir. J’ai dit « spirituel », je n’ai pas dit « religieux ». Ce n’est pas un retour du religieux, comme on l’a dit et répété bien à tort. C’est la résurgence d’un besoin spirituel. La science et la technologie n’ont pas éteint la soif d’absolu au cœur de l’homme. Un auteur agnostique a bien défini cette situation nouvelle que nous devons prendre en compte : « Sortie de la religion ne signifie pas sortie de la croyance religieuse, mais sortie d’un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés et où elle définit l’économie du lien social. La sorite de la religion, c’est le passage dans un monde où les religions continuent d’exister, mais à l’intérieur d’une forme politique et d’un ordre collectif qu’elles ne déterminent plus »[1].
5. Vingt ans après l’enquête du Secrétariat pour les non-croyants de 1985, les profondes mutations de la culture, à la charnière des deux millénaires, ont profondément changé la donne, nous l’avons dit. L’émergence de conflits ethnico-religieux dont la résonance planétaire favorisée par les médias plonge dans l’angoisse des pans entiers de la société, les tensions internationales qui fissurent les édifices politiques et économiques, sont quelques exemples d’évènements qui interagissent sur les comportements et les choix de vie d’hommes et de femmes souvent déboussolés. Le questionnaire sur la non-croyance a pris en compte le fait notable de l’indifférence religieuse sans cesse croissante, et les nouvelles religions alternatives. Des Conférences épiscopales aux Facultés de théologie et Universités catholiques, des Centres culturels catholiques, et d’autres instances intéressées, quelque 300 réponses nous sont parvenues. Elles constituent la base de notre Instrumentum laboris.
Qu’est-ce qui se dégage de cette enquête ? Une situation bigarrée et très nuancée selon les régions, mais avec une idée-force qui s’affirme un peu partout : aujourd’hui, l’athéisme militant et systématique, qui était encore très virulent, il m’en souvient, au temps du Concile Vatican II et encore quand l’enquête de 1985 a été faite, est aujourd’hui en régression. L’attitude agressive envers l’Église, sans pour autant disparaître totalement, a laissé place, parfois, à la dérision et au ressentiment en certains médias et, souvent, à une attitude diffuse de relativisme et d’athéisme pratique, qui portent à vivre comme si Dieu n’existait pas, un athéisme pratique qui conduit à l’indifférence. C’est l’apparition de ce que j’appellerais, après l’homo faber, l’homo sapiens, l’homo religiosus, l’homo indifferens, même chez les croyants, en proie à la sécularisation. La recherche individuelle et égoïste du bien-être et la pression d’une culture sans ancrage spirituel éclipsent le sens de ce qui est réellement bon pour l’homme, et blessent son aspiration vers le transcendant en le limitant à une vague recherche du spirituel en fonction des besoins, à travers une nouvelle religiosité sans référence à un Dieu personnel, sans adhésion à un corps de doctrine, et sans la dimension communautaire de la vie de foi irriguée par la célébration des mystères.
Mais ces contestations ne doivent surtout pas être généralisées. D’autres observations ressortent de l’enquête, et nous avons cherché à les synthétiser dans l’Instrumentum laboris, (page 9) :
« La non-croyance n’est pas en augmentation dans le monde ; il s’agit d’un phénomène qui se retrouve avant tout dans le monde occidental. Le modèle culturel qu’il suscite, se diffuse dans le monde entier à travers la mondialisation, influe plus ou moins profondément sur toutes les cultures, et produit un impact sur la religiosité. Mais, en règle générale, la non-croyance ne peut être considérée comme un phénomène asiatique, latino-américain ou africain, ni du monde musulman. »
Si l’athéisme militant est généralement en régression, sauf dans les pays où il est encore au pouvoir avec un système politique officiellement athée, nous voyons apparaître une attitude culturelle diffuse résolument hostile vis-à-vis des religions, spécialement du Christianisme, et plus particulièrement du catholicisme. Les moyens de communication sociale, lorsqu’ils sont complices de ce mouvement, en sont un moyen de diffusion terriblement efficace et difficile à contrebalancer. Certains milieux de mouvance maçonnique exercent, en de nombreux domaines, une influence sur les débats de sociétés et les grandes orientations législatives qui ne sont pas sans poser de graves interrogations à l’Église, comme le retour d’un laïcisme militant en certains pays.
L’athéisme et la non-croyance, qui se présentaient hier comme des phénomènes plutôt masculins, urbains et propres aux personnes d’un niveau culturel relativement élevé, ont aujourd’hui changé de visage. En effet, notamment avec le fait du travail des femmes hors du foyer, la non-croyance augmente et atteint, chez elles, des niveaux presque identiques à ceux des hommes. Cette constatation est particulièrement grave pour une pastorale où séculairement la transmission de la foi avait pour vecteurs privilégiées les mamans au foyer et les mamans catéchistes.
En de nombreux pays, les statistiques révèlent une forte baisse du nombre de personnes qui fréquentent régulièrement l’église. Cela ne signifie pas pour autant que la non-croyance augmente, mais manifeste une transformation profonde de la manière de croire qui entraîne un affaissement de la pratique religieuse : croire sans appartenir. Il s’agit d’un phénomène de « déconfessionnalisation » de l’homo religiosus qui refuse tout type de structure institutionnelle. Mais il s’agit là encore de quelque chose de confus : beaucoup de personnes qui disent n’appartenir à aucune religion et n’en confesser aucune, se considèrent dans le même temps comme religieuses. J’ajoute à cette observation le phénomène croissant de « l’exode silencieux » de nombreux catholiques vers les sectes et les nouveaux mouvements religieux, spécialement en Amérique latine et en Afrique subsaharienne.
En définitive, si nous ne pouvons parler de mondialisation de la non-croyance, nous observons dans le même temps une mondialisation du refus ou, plus simplement, de l’abandon des croyances traditionnelles, tant en ce qui concerne la pratique religieuse, que l’adhésion aux contenus doctrinaux et moraux. L’analyse de ce phénomène n’est pas simple en raison des phénomènes de mode qui donnent le sentiment d’une situation kaléidoscopique où tout et son contraire peut advenir : d’un côté, ceux qui croient sans appartenir, et de l’autre, ceux qui appartiennent sans pour autant croire à tout le contenu de la foi et qui, surtout, ne veulent pas endosser la dimension éthique de la croyance.
6. À côté de ces données, certainement préoccupantes, émerge un autre phénomène, global lui aussi, mais particulièrement significatif dans le monde occidental où l’éclipse de Dieu n’est pas un fait nouveau : la croissance d’une nouvelle quête souvent appelée « le retour du sacré » et qui est, en réalité, plus spirituelle que religieuse. Il ne s’agit pas d’un retour aux pratiques religieuses traditionnelles, mais bien plutôt d’une recherche de nouvelles manières de vivre et d’exprimer la dimension religieuse inhérente au paganisme. La caractéristique essentielle de ce « réveil spirituel » est le refus d’une quelconque dépendance au profit d’une démarche toute individuelle, autonome et guidée par la propre subjectivité. Par rapport à d’autres époques, ce retour du religieux offre deux caractéristiques : d’une part, la négation du transcendant, et d’autre part, la dépersonnalisation de la divinité. Ce qui explique en Occident le succès du modèle asiatique moniste de transcendance, perçu comme un ensemble organique où l’humain et le divin s’identifient et se fondent ensemble.
Si nous avons développé l’analyse de cette nouvelle religiosité et des religions alternatives dans la seconde partie de notre document de travail, c’est parce qu’elles jouent un rôle important dans la culture de notre temps. Vous le savez, le Conseil Pontifical de la Culture a publié, avec le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux une réflexion chrétienne sur le New Age, Jésus Christ, le porteur d’eau vive. À en juger par les nombreuses éditions et les demandes qui nous sont faites, ce rapport provisoire répond à un véritable besoin et mérite un approfondissement que nous nous proposons de faire avec les Dicastères intéressés.
En réalité, les nouvelles formes de non-croyance et la diffusion de cette « nouvelle religiosité » sont intimement liées. La non-croyance et la mal-croyance vont souvent de pair. Dans leurs racines les plus profondes, elles manifestent à la fois le symptôme et la réponse – erronée – d’une crise des valeurs et de la culture dominante. Le désir d’autonomie, incapable de supprimer la soif de plénitude et d’éternité que Dieu a gravé dans le cœur de l’homme, cherche des palliatifs dans les gigantesques supermarchés où toutes sortes de gourous proposent à la consommation des recettes de bonheur illusoire. Il est cependant possible de trouver dans cette soif de spiritualité un point d’ancrage pour la prédication de l’Évangile. C’est ce que nous avions appelé, au cours de l’Assemblée plénière de 1991 : « l’évangélisation du désir », dans cette Plenaria consacrée à : « la quête du bonheur et la foi chrétienne ».
7. C’est bien le cœur de notre travail : comment transmettre l’Évangile des Béatitudes, l’Évangile du bonheur à l’homme indifférent ? comment faire renaître en lui cette soif de Dieu qui demeure au plus profond de son âme, et ce, dans un langage qu’il puisse comprendre ? comment réveiller son attention, pour qu’il trouve quelque intérêt à notre proposition ? En définitive, il s’agit de répondre à l’attente du Saint-Père exprimée dans le Motu proprio Inde a Pontificatus : « fournir une aide adaptée à l’action pastorale de l’Église pour l’évangélisation des cultures et l’inculturation de l’Évangile. ». (Inde a pontificatus, art. 2).
Notre souci est bien sûr d’aboutir à des propositions concrètes pour aider l’Église à répondre aux défis de la non-croyance et de l’indifférence religieuse. Une esquisse de réponses est présentée dans la troisième partie de l’Instrument de travail. Mais vous l’avez observé : les quelques réponses proposées sont bien petites devant l’immensité, l’ampleur des questions qui vous sont posées dans l’Instrumentum laboris, et auxquelles notre Assemblée va maintenant s’efforcer de répondre. Il ne s’agit pas pour nous d’analyser sans fin les situations de crise et leurs causes, mais d’offrir des réponses pastorales concrètes. D’ailleurs, nous le constatons, l’analyse de la crise, lorsqu’elle devient une obsession, devient un élément de la crise elle-même et contribue au succès des idées dépressives. Tel n’est pas le service que nous devons rendre à l’Église. Les pasteurs attendent de nous des orientations concrètes pour répondre à telle mère de famille préoccupée par la perte de la foi de son enfant, à l’aumônier d’hôpital confronté à des situations de grande désespérance, au professeur chrétien confronté à des enfants totalement ignorants de la foi parce que n’ayant rien reçu de leurs parents, aux prêtres comme impuissants et désarmés face à l’hémorragie des fidèles et la diminution des demandes des sacrements de la foi. C’est bien évident : dans un champ aussi vaste, nous ne trouverons pas de recettes-miracles – la foi est toujours une grâce, une rencontre mystérieuse entre Dieu et la liberté de l’homme. Et nous n’avons ici ni l’intention ni les moyens de nous substituer aux pasteurs responsables, mais le seul désir de les aider en nous appuyant sur vos expériences pastorales pour donner peut-être un plus grand écho à certaines d’entre elles, et ouvrir de nouvelles voies.
Une telle réflexion, si nous suivons les différents domaines proposés dans la troisième partie de l’Instrumentum, devrait porter sur deux axes principaux : le premier porte sur les manières d’accueillir les anxiétés et les attentes des hommes et des femmes de notre temps, ce que nous avons appelé « les points d’ancrage pour la transmission de l’Évangile » ; le second, porte sur les moyens les plus adaptés pour témoigner de l’Évangile aux non-croyants, ou aux mal-croyants de notre temps : comment faire pour susciter leur intérêt, leur donner de s’interroger, et permettre à l’Église de transmettre son message de foi et d’amour dans les sociétés sécularisées d’aujourd’hui. Je suis sûr que, à la lumière de l’expérience multiforme de cette assemblée, nous trouverons ensemble des éléments de réponse, éventuellement à proposer ensuite sous forme d’un petit document comme celui Pour une pastorale de la culture qui continue à rendre service, les évêques d’Amérique latine m’en faisaient la confidence tout récemment encore.
Il ne s’agit pas tant d’inventer quelque chose de nouveau que de trouver les voies les plus efficaces de la nouvelle évangélisation à laquelle Jean-Paul II nous appelle, nouvelle dans son expression, dans ses méthodes, dans son ardeur. Cette nouvelle évangélisation ne peut délaisser les non-croyants ou les mal-croyants qui se trouvent parmi ceux qui, d’une certaine manière, se considèrent catholiques. Et elle nous demande surtout d’aller à la rencontre de ceux qui se déclarent indifférents : comment les toucher au plus profond d’eux-mêmes par delà cette carapace qui les emprisonne.
8. Permettez-moi de terminer cette brève introduction par un appel. La réflexion sur la nouvelle évangélisation, ces dernières années, s’est beaucoup orientée sur les nouvelles méthodes et la nouvelle expression de l’annonce de l’Évangile. C’était le désir de Jean XXIII, et il l’a exprimé en ces termes à l’ouverture du Concile Vatican II : « autre est le dépôt lui-même de la foi, les vérités contenues dans notre doctrine, et autre est la manière avec laquelle celles-ci sont énoncées. »
Mais si nous nous sommes beaucoup occupés des nouvelles méthodes et de la nouvelle manière d’exprimer la foi, nous avons consacré moins de temps à réfléchir sur la « nouvelle ardeur » qui doit accompagner cette évangélisation. C’est le message que le Secrétaire du CELAM, Monseigneur Andrés Stanovnik, a voulu me partager à l’occasion de notre récente rencontre, à Bogota. Au cours des discussions de ces trois prochains jours, nous avons toujours présent à l’esprit ce nécessaire renouvellement de l’ardeur missionnaire dans l’évangélisation au cœur des cultures marquées par la non-croyance et l’indifférence religieuse.
« Diamoci, dunque da fare. » Ce mot est de Saint François d’Assise, grand évangélisateur s’il en est. C'est ainsi qu'il exhortait ses frères : « Diamoci da fare, che finora, poco o niente abbiamo fatto ». Travaillons donc pour offrir à nos frères une réponse aux défis pastoraux qui sont, pour l’Église une grave préoccupation en ce début du troisième millénaire. Le Seigneur nous a envoyé annoncer l’Évangile à tous les hommes [pánta ta ktísei] et à toutes les cultures [pánta ton ethne], et il a promis d’être avec nous, en nous accompagnant de sa grâce et de son amour tous les jours, jusqu’à la fin du monde.
En vous redisant ma gratitude pour votre présence et votre active collaboration, je nous souhaite à tous un bon travail.
[1] Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, Gallimard 1998, p. 13-14.