Nouvelles technologies de l’information et de la communication : la puissance du beau et la place indispensable d’une théologie de l’image
par Dominique Lambert
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont non seulement offert les moyens d’une transmission plus rapide des messages, mais ont modifiés profondément les caractéristiques de ceux-ci, en leur imposant un langage nouveau. Ces technologies ont induit aussi une nouvelle culture de la communication, une nouvelle manière de tisser des liens sociaux. Dans un premier temps, on a pu se contenter d’utiliser ces NTIC en les considérant simplement comme des vecteurs plus rapides de la transmission d’information rédigée dans des formes classiques. Mais cette conception touche à ses limites, car le vecteur technologique lui-même n’est pas, ou peu, adapté aux structures de la communication et des langages classiques. Un problème se pose donc : comment profiter des aspects indéniablement positifs des nouvelles technologies en adoptant à la fois les langages nouveaux qui leur sont adéquats, tout en évitant de voir ces langages obscurcir ou dénaturer le message de l’Evangile et l’enseignement de l’Eglise dans toute leur vérité ? Nous suggérons qu’une piste passant par le langage du beau et par une appropriation théologique renouvelée de l’image pourrait apporter une réponse à cette question.
1 Relier plus vite et plus loin. Consulter l’information de plus loin. Enseigner au loin.
Le courrier électronique permet de maintenir des contacts étroits par-delà les distances. Dans le monde universitaire, grâce au courrier électronique et à Internet, des étudiants de pays moins favorisés peuvent faire des thèses de doctorat à distance et consulter de chez eux des références importantes et rares. Des universités virtuelles peuvent par « e-learning » dispenser leurs enseignements à des personnes isolées ou handicapées ou encore ne pouvant pas, pour des raisons professionnelles ou familiales, suivre un cursus régulier. Les NTIC contribuent de ce fait à un meilleur partage du savoir et à un accès plus équitable à la connaissance. Ces NTIC contribuent indéniablement à ouvrir, à un grand nombre, des trésors jusque-là inaccessibles de la Science et de la Tradition de l’Eglise.
2 Premiers risques. Communiquer de plus en plus souvent, mais de moins en moins de contenu et dans des langues de plus en plus pauvres. Manipuler de plus en plus d’information sans prendre le temps du recul pour penser et créer du nouveau.
Le risque d’une communication ultrarapide est la tentation de multiplier les messages en ne prenant plus le temps de la réflexion et en ne soignant plus la forme du langage utilisé. On constate effectivement, dans les SMS échangés par les jeunes, à l’apparition d’une langue appauvrie s’affranchissant des règles élémentaires de syntaxe, d’orthographe,… La multiplication des messages électroniques entraîne une sorte de saturation (ils ne sont souvent plus lus en entier!) ou à des pertes considérables de temps (la lecture et la réponse à une multitude de messages électroniques consomment un temps précieux dans les administrations et les universités). La vitesse d’acquisition et la richesse des sources de l’information induisent une attitude qui consiste à ne plus chercher à penser par soi-même ou à créer, mais à rechercher sur le Web une réponse « toute-faite » aux questions ; « on ne crée plus on presse sur des boutons pour avoir la solution… » !
3 Relier de plus en plus de monde mais sans faire se rencontrer vraiment les personnes.
Les NTIC constituent une « noosphère » qui met en contact de plus en plus de personnes. Cependant les relations électroniques ne favorisent pas toujours les véritables rencontres et le risque existe de voir un certain nombre s’enfermer, s’isoler dans un monde virtuel où la réalité du monde et des véritables rencontres humaines s’évanouit. Un exemple frappant à cet égard est celui de Facebook, où vous pouvez multiplier le nombre de vos « amis » sans jamais les avoir vraiment rencontrés en profondeur. Cependant, à l’inverse, de la musique ou des images très belles, échangées par les NTIC, peuvent aider la personne à sortir d’elle-même et à échapper à cet enfermement… Une réflexion sur la puissance de l’esthétique nous semble donc essentielle dans ce contexte.
4 Perdre de plus en plus la maîtrise de la diffusion de ce que l’on veut communiquer. Nécessité de l’anticipation des effets de la communication.
Les NTIC permettent la diffusion extrêmement rapide et large d’une information. En temps réel, toute la planète peut recevoir une information. Des erreurs de manipulation peuvent conduire à diffuser largement ce qui devait rester confidentiel ; des informations privées, des erreurs, des rumeurs peuvent se diffuser très vite et partout. Une extrême prudence est donc de mise. Les NTIC invite à une prudence et à une anticipation sérieuse de tous les effets que peuvent produire un contenu diffusé dans des cultures ou des milieux très variés. Souvent, l’utilisateur des NTIC ne va pas prendre le temps d’une réflexion longue et profonde face à un contenu diffusé. La pratique de ces nouveaux moyens de communication nécessite donc un effort accru pour lever, à l’avance, les ambiguïtés et pour anticiper tous les effets que peuvent produire la réception d’un message dans une société donnée. Une pédagogie nouvelle s’impose qui doit tenir compte du fait que la plupart des récepteurs des messages des NTIC risque de ne pas prendre le temps nécessaire pour une compréhension en profondeur.
5 Risquer d’être marginalisé si l’on n’a pas les technologies appropriées pour être « dans le réseau ». Risquer de ne pas toucher ceux qui n’ont pas d’accès à une technologie sophistiquée. Risquer d’induire des dépendances économiques.
Il existe bel et bien des fractures technologiques. Tous les pays ne sont pas sur le même pied pour ce qui est de l’utilisation de machines qui sont sensibles à la température, à l’humidité, à la poussière,… Il faut être conscient que l’utilisation des NTIC peuvent induire aussi des dépendances économiques problématiques pour certaines personnes ou communautés. On ne doit pas oublier le fait qu’une technologie n’est pas seulement un simple objet technique, mais aussi un puissant catalyseur de transformation et de structuration culturelle, économique et sociale. Entrer dans le monde des NTIC demande une réflexion éthique, linguistique mais aussi socio-économique. La question se pose donc de savoir comment profiter des avantages des NTIC tout en évitant d’aggraver des fossés économiques et technologiques.
6 A vin nouveau outres neuves ! Chercher des langages qui soient adéquats à la technologie et à la transmission du message évangélique. Une théologie de l’image ?
Il faut tout d’abord distinguer deux usages des NTIC qui sont très différents. (1) On peut utiliser les NTIC dans un esprit « classique ». Celles-ci permettant de transmettre, plus vite et en plus grande quantité, l’information que le courrier postal ou les bibliothèques classiques mettaient à notre disposition. (2) Ceci est très bien et doit être valorisé. Mais, comme on l’a dit plus haut, la vitesse de diffusion et le fait que les « récepteurs » d’informations ne prennent plus ou n’ont plus le temps pour réfléchir en profondeur aux messages invitent, si l’on veut investir ce nouveau monde à des fins louables (évangélisation, enseignement chrétien,…), à adopter des langages tenant compte de cette réalité. Il nous semble que le langage qui convient le mieux et qui touche le plus un public contemporain est celui non pas de l’écrit mais de l’image. Dans une enquête que nous avons effectuée en préparation à l’Assemblée plénière du Conseil pontifical de la culture, il nous est apparu clairement que, sur les sites catholiques (abbayes, communautés,…), ce qui est le plus consulté, ce sont les films, les diaporamas, les témoignages oraux… Il nous semble urgent de retravailler par exemple une catéchèse par la beauté et une théologie de l’image. Comment, à partir d’images et de musiques bien choisies, faire passer un message évangélique, théologique et liturgique profond. Souvent aujourd’hui, dans une société sécularisée l’écrit théologique passe mal ou est très vite déformé. Mais, comme le montre les exemples récents de films (« Le grand silence »,…) cette même société a encore une immense capacité d’être touchée par l’image et par le beau. Si l’on cherche un moyen de transmettre un témoignage évangélique par la médiation des NTIC, l’image empreinte de beauté et accompagnée de paroles et de musique bien choisies, est peut-être un des langages les mieux adaptés. La beauté possède une puissance de décentrement qui peut briser les enfermements virtuels. L’image belle invite aussi à penser, à réfléchir et à sortir d’une conception des NTIC comme simple brassage d’informations. Une nouvelle réflexion théologique sur la puissance du beau et de l’image semble être un moment nécessaire dans une recherche profonde sur la manière de transmettre le message de l’Evangile et l’enseignement de l’Eglise par la médiation des NTIC.